06
Aug
2018
EXERCICE 4 - LET YOUR STORY BE
Objectif : J’ai écrit ce texte en 2014, sur ce blogue. Telle une fenêtre, ce premier jet s’ouvre sur une histoire fantastique. Dans un taxi, une radio divine diffuse les chansons que les passagers ont besoin d’entendre. Dépourvu de descriptions et d’atmosphère, ce texte comporte des maladresses, des tournures de phrases qui alourdissent le style, des impropriétés, des répétitions... À vous de corriger tout ça.
Le véritable but, cependant, est de réécrire le texte en vous l’appropriant, en plongeant plus creux dans l’histoire, dans les personnages, dans la narration. Déployez votre imagination, laissez-vous envahir par les mots, les images, et basculez dans leur monde. Ces mots et ces images tracent un chemin en vous, vers vous ; ils vous servent de rampe de lancement vers votre histoire.
Mot d’ordre
« Let your story be »
*****
Toute cette journée pour ça ! Une simple dédicace, très impersonnelle, d’ailleurs, écrite sur la première page, d’une manière illisible ! Il ne l’avait même pas reconnue. Il n’avait même pas osé lever un regard vers elle. Elle s’était sentie si misérable, si… si rien du tout qu’elle avait eu juste envie de lui lancer son foutu bouquin au visage. Elle s’était retenue : autant les mains que les mots de rage qui se bousculaient dans sa bouche. Puis elle l’avait quitté brusquement, devant les regards interrogateurs des autres fans.
Elle, c’était Brittany Dumont. Deux ans plus tôt, elle lui avait sauvé la vie. Martin Vonfreu, maintenant célèbre écrivain, avait reçu deux coups de couteau dans le ventre durant un hold-up qui avait mal tourné à la banque où elle travaillait. Grâce à son don, Brittany avait réussi à stopper le flot de sang qui sortait de l’abdomen de Martin Vonfreu, ainsi lui avait-elle évité la mort. Les voleurs partis, il avait babillé quelques mots de remerciement avant de s’évanouir. Puis les ambulanciers et la police, qu’on avait alertés, étaient arrivés et avaient pris la relève.
Emplie d’une colère à pourprer ses joues, Brittany quitta la salle où elle avait passé la journée à savourer chacune de ses paroles sur l’art d’écrire un roman et sur comment se faire publier. Une fois à l'extérieur de l’hôtel, elle jeta le bouquin dans la poubelle la plus proche et héla un taxi.
Une berline bleue, conduite par un Africain élégant au regard pétillant de malice, se gara devant elle. Elle s’y engouffra en refoulant un sanglot.
— 410, avenue Lafleur, s’il vous plaît.
Le conducteur lança un regard jovial vers sa nouvelle passagère.
— Vos désirs sont des ordres, mademoiselle.
Il posa son long doigt noir sur le compteur puis démarra. Durant le trajet, Let It Be des Beatles jouait en boucle, ce qui, à la longue, irrita Brittany qui demanda au chauffeur d’une voix qu’elle voulut douce mais sans succès :
— Serait-il possible d’arrêter cette chanson ?
Un œil la dévisagea dans le rétroviseur. Un œil noir, très noir, qui pétillait de joie.
— Cette chanson est pourtant celle que vous devez entendre, mademoiselle.
Brittany demeura perplexe et intriguée à la fois.
— Pourquoi serait-elle ma chanson ?
Le chauffeur, tout souriant, expliqua :
— Voyez-vous, cette radio n’est pas une radio ordinaire. À l’intérieur s’y trouve un CD vierge sur lequel se grave à chaque nouveau passager une nouvelle chanson. Cette radio n'est pas sous mon contrôle, mais sous celui d'un être divin et invisible qui sait lui-même ce que mes passagers ont besoin d’entendre dans leur vie au moment même où il pose leur popotin sur la banquette arrière. Et vous, c’est Let It Be.
Le chauffeur garda le silence un moment. John Lennon entama le premier couplet pour une troisième fois. Brittany n’eut pas le choix de l’écouter.
« When I find myself in times of trouble
Mother Mary comes to me
Speaking words of wisdom, let it be.
And in my hour of darkness
She is standing right in front of me
Speaking words of wisdom, let it be.
Let it be, let it be.
Whisper words of wisdom, let it be. »
Mother Mary comes to me
Speaking words of wisdom, let it be.
And in my hour of darkness
She is standing right in front of me
Speaking words of wisdom, let it be.
Let it be, let it be.
Whisper words of wisdom, let it be. »
— OK ! cria-t-elle soudainement. Laissez-moi sortir ! TOUT-DE-SUITE.
L’auto s’arrêta sec, à trois rues de chez elle. Brittany tendit un billet de vingt dollars au chauffeur, puis elle s’éjecta du taxi comme si elle avait le feu au derrière, ou pire, comme si elle venait de rencontrer un infectieux extraterrestre.
Le conducteur haussa les épaules puis repartit en passant doucement à côté d’elle qui marchait sur le trottoir. Il baissa la fenêtre et lui siffla joyeusement :
— LET IT BEeeeee…
Il fit crisser les pneus, et le taxi s’éloigna à grande vitesse. Une commette, pensa-t-elle en voyant la voiture rapetisser de plus en plus. Une commette était passée dans sa vie.